Co-construire la science de demain : Ce que nous a appris le webinaire sur l’ESIC
Jan 1st 1970
Dans un monde où la science produit toujours plus, mais influence encore trop peu les décisions publiques, une question essentielle se pose : comment faire en sorte que les connaissances issues de la recherche soient réellement mobilisées pour résoudre les problèmes sociaux, économiques et environnementaux qui nous concernent tous ?
Le 16 avril 2025, une cinquantaine de participants issus des sphères scientifiques, politiques et sociales francophones ont tenté de répondre à cette question lors d’un webinaire organisé par le Réseau Francophone International en Conseil Scientifique (RFICS), en collaboration avec Effective Basic Services (eBASE) Africa. Ce webinaire a été l’occasion de présenter une initiative ambitieuse : l’Evidence Synthesis Infrastructure Collaborative (ESIC), une plateforme ouverte visant à transformer la manière dont la science est synthétisée, partagée et utilisée pour orienter l’action.
Plutôt qu’un simple compte rendu de cet événement, ce billet met en lumière les grands concepts clés qui ont émergé au fil des échanges.
1. Synthétiser pour mieux décider
Les intervenants ont souligné un paradoxe frappant : nous n’avons jamais produit autant de recherche scientifique, et pourtant, une grande partie de ces connaissances reste inexploitée. La synthèse des connaissances – c’est-à-dire le fait de rassembler, structurer et résumer les données issues de multiples études – apparaît comme une solution pour rendre la science plus lisible, plus accessible et surtout, plus utile.
Cette capacité à "faire parler les données" est devenue une compétence stratégique. Il ne suffit plus de produire de la recherche ; il faut la rendre mobilisable pour éclairer les politiques publiques, les pratiques professionnelles et les choix des citoyens.
2. Une francophonie scientifique qui collabore
Un autre message fort du webinaire : pour être efficace, la synthèse ne peut se faire en vase clos. La coopération entre acteurs francophones est essentielle. Trop souvent, les efforts sont dupliqués, les ressources dispersées et les plateformes cloisonnées.
L’ESIC se positionne ici comme un espace de convergence. Il s’agit de créer une infrastructure commune qui permettrait aux chercheurs, praticiens, décideurs et citoyens de collaborer plus étroitement, en particulier dans les pays du Sud où l’accès aux données et aux outils reste limité.
3. L’ESIC, une infrastructure ouverte et évolutive
Contrairement à une plateforme déjà construite, l’Evidence Synthesis Infrastructure Collaborative est une démarche progressive, fondée sur une vision partagée de la science comme bien commun. Ses objectifs sont clairs :
- Mutualiser les outils, ressources et méthodes pour la synthèse ;
- Améliorer la compatibilité entre les plateformes existantes (Cochrane, Campbell, JBI, etc.) ;
- Intégrer les nouvelles technologies, comme l’IA, pour accélérer la mise à jour des données ;
- Renforcer les capacités des acteurs locaux, notamment en Afrique francophone ;
- Favoriser la participation active de toutes les parties prenantes.
Le message des animateurs, Mathieu Ouimet (RFICS) et Patrick Okwen (eBASE Africa), était limpide : l’ESIC se construit avec celles et ceux qui veulent y contribuer.
4. Une méthode agile : le triple diamant
Pour structurer la mise en place de cette infrastructure, les porteurs du projet s’appuient sur une approche inspirée du design thinking : le “triple diamant”.
Cette méthode repose sur trois étapes :
- Explorer les besoins, les attentes et les lacunes dans l’écosystème actuel ;
- Expérimenter des solutions concrètes à petite échelle ;
- Affiner une feuille de route, en vue du Sommet de juin 2025 à Cape Town, où les résultats seront consolidés.
Ce processus se veut inclusif, itératif, et ouvert à l’amélioration continue.
5. IA, interopérabilité, pérennité : les grandes questions
Le webinaire n’a pas éludé les défis majeurs auxquels l’ESIC devra répondre :
- Comment articuler l’initiative avec les bases de données existantes sans créer un énième doublon ?
- Quel rôle pour l’intelligence artificielle dans les processus de synthèse ?
- Comment garantir la pérennité de l’initiative ?
- Et surtout, comment éviter que des recherches pertinentes tombent dans l’oubli, faute de diffusion ou de traduction en solutions concrètes ?
Ces préoccupations, soulevées par les participants, montrent que l’ESIC devra rester à l’écoute des besoins du terrain pour être réellement pertinente.
6. Un appel à co-construire
Le mot de la fin du webinaire était résolument tourné vers l’action. L’ESIC n’est pas un club fermé : toute personne ou organisation intéressée peut contribuer. Que ce soit par le partage de ressources, la participation à des groupes de travail, ou simplement en exprimant des besoins spécifiques, chaque contribution compte.
Le projet repose sur une conviction forte : la science ne remplit pleinement son rôle que lorsqu’elle est partagée, traduite et mobilisée collectivement.
Conclusion : Vers une science au service des citoyens
Dans un monde saturé d’informations, où les urgences se multiplient, notre capacité à structurer la connaissance devient un enjeu de société. Le webinaire du 16 avril a démontré qu’il existe une réelle volonté, au sein de la communauté francophone, de construire une infrastructure qui serve l’intérêt général, en rendant la science plus utile, plus humaine, et plus connectée aux besoins réels.
L’ESIC ne résoudra pas tout. Mais elle offre un cadre fédérateur, un espace d’intelligence collective pour penser autrement la relation entre savoirs et décisions.
Et vous, quelle place souhaitez-vous y prendre ?